mercredi 31 août 2016

[Film] Ma vie de Courgette de Claude Barras

1h06 - Franco-suisse
Année : 2016
Date de sortie française : 19 octobre 2016
Avec les voix de : Gaspard Schlatter, Sixtine Murat, Paulin Jaccoud

Courgette n’a rien d’un légume, c’est un vaillant petit garçon. Il croit qu’il est seul au monde quand il perd sa mère. Mais c’est sans compter sur les rencontres qu’il va faire dans sa nouvelle vie au foyer pour enfants. Simon, Ahmed, Jujube, Alice et Béatrice : ils ont tous leurs histoires et elles sont aussi dures qu’ils sont tendres. Et puis il y a cette fille, Camille. Quand on a 10 ans, avoir une bande de copains, tomber amoureux, il y en a des choses à découvrir et à apprendre. Et pourquoi pas même, être heureux. 
(Source : Allociné)

16/20

Le Stop motion a la côte ces derniers temps, c'est un procédé qu'on retrouve de plus en plus souvent en animation, qui s'adapte à toutes les sauces (de la comédie au drame en passant par la jeunesse) et qui me plaît de plus en plus pour la diversité des styles et mises en scène qu'il permet. C'est donc très enthousiaste que, jeudi dernier, je suis allée faire la connaissance de Courgette et de son réalisateur Claude Barras...


Adapté du roman Autobiographie d'une Courgette de Gilles Paris, Ma vie de Courgette raconte l'histoire touchante d'un jeune garçon tout juste orphelin qui découvre la vie en foyer, l'amitié et ses premiers émois. On se retrouve immédiatement plongé dans l'univers de ce petit garçon à la bouille ronde, au drôle de surnom et aux cheveux bleus qui évolue dans un univers très édulcoré au premier abords, mais en qui n'est en réalité pas tout rose.

Si les sujets du film sont parfois durs (la perte d'un proche, la vie de ces enfants qui se retrouvent avec des cellule familiales éclatées), le film ne tombe jamais dans le drame complet, c'est avant tout un film pour enfants, il y a un côté très enfantin qui émeut et fait rire (les petits comme les grands), et un chouette message à faire passer sur la nécessité de s'entraider et sur l'idée que tout peut finir par s'arranger. J'ai souvent rigolé devant les réactions et manies de ce petit groupe d'enfants, et j'avoue même avoir été au bord des larmes à la fin (la très belle reprise de Sophie Hunger du Vent nous portera y étant sans doute pour quelque chose)...


Ma vie de Courgette est un film drôle et touchant, plein de bêtises d'enfants, de bonnes intentions et de petits personnages hauts-en-couleurs. Récompensé du Cristal du long métrage au Festival international du film d'animation d'Annecy cette année, Ma vie de Courgette a également fait fureur au Festival du Film Francophone d'Angoulême. Pour preuve, il est le premier film d'animation à se voir attribuer la plus haute récompense de l’événement : le Valois de diamant. Un joli parcours pour le long métrage qui s'annonce déjà être le film qui représentera la Suisse aux prochains Oscars. Courgette est peut-être bien parti pour faire rire et émouvoir les gens encore longtemps !



dimanche 28 août 2016

[Film] Un petit boulot de Pascal Chaumeil

1h37 - Français
Année : 2016
Date de sortie française : 31 août 2016

Avec : Romain Duris, Michel Blanc, Alice Belaïdi

Jacques habite une petite ville dont tous les habitants ont été mis sur la paille suite à un licenciement boursier. L'usine a fermé, sa copine est partie et les dettes s’accumulent. Alors quand le bookmaker mafieux du coin, lui propose de tuer sa femme, Jacques accepte volontiers... 
(Source : Allociné)

15/20

L'Arnacoeur étant une des comédies françaises que j'ai le plus appréciée ces dernières années, la perspective de retrouver Pascal Chaumeil aux commandes d'un nouveau film avec Romain Duris était plus qu'alléchante. Et le résultat est nettement à la hauteur de mes attentes !

Avec sa mise en scène dynamique, sans temps-morts, qui enchaînent les situations comiques, les répliques cinglantes et les traits d'esprits, le film invite le spectateur à se laisser porter par le rythme du récit sans voir le temps passer. L'histoire (écrite par Michel Blanc et adapté du roman du même nom de Iain Levison) n'a rien de convenue, le ton cynique souvent employé est très drôle. On oublierait presque la veine satirique du film qui tend, dans le fond, vers la critique sociale.


Au centre de l'histoire, le duo Romain Duris et Michel Blanc, interprétant respectivement un employé d'usine au chômage et le boss de la mafia locale décidant de lui confier le meurtre de sa femme, est excellent ! Roman Duris est toujours très bon dans ce genre de rôle un peu décalé et nonchalant. Accompagnés d'Alice Belaïdi (qui apporte une touche romantique très plaisante), de Gustave Kervern  ou encore d'Alex Lutz, le casting se retrouve également servi par une bande de seconds rôles tout à fait au niveau de la cocasserie et du mordant de Pascal Chaumeil.


S'il est tout de même triste de sortir d'un tel film en réalisant qu'il sera le dernier de Pascal Chaumeil et qu'on ne verra plus la folie et le dynamisme de sa mise en scène sur grand écran, on peut au moins reconnaître au réalisateur d'avoir réussi à nous proposer des comédies de qualité jusqu'au bout. De quoi profiter d'autant plus de cette ultime réalisation !



[Livre] Riquet à la Houppe d'Amélie Nothomb

Albin Michel - Août 2016
198 pages
Date de sortie originale : 17 août 2016

« L’art a une tendance naturelle à privilégier l’extraordinaire. »
Amélie Nothomb

15/20

Chaque année, c'est le même rituel, on garde un oeil sur les sorties littéraires d'août pour voir la tête du nouveau roman d'Amélie Nothomb. Si je dois avouer que ces dernières années, les nouvelles parutions de l'auteure ont eu tendance à me laisser de marbre, cette fois-ci, la surprise est au rendez-vous !
« Les gens ne sont pas indifférents à l’extrême beauté : ils la détestent très consciemment. Le très laid suscite parfois un peu de compassion ; le très beau irrite sans pitié. La clef du succès réside dans la vague joliesse qui ne dérange personne. »
Riquet à la houppe, comme son titre le laisse entendre, est la réécriture d'un conte (de Charles Perrault pour être précise). Si l'auteure a déjà utilisé ce procédé (notamment avec Barbe-Bleue), on la retrouve ici avec un nouveau roman dans la veine de ses premières histoires et qu'est-ce qu'il est plaisant de retrouver la Amélie Nothomb de ses débuts !

J'ai adoré suivre la naissance et l'évolution de ses deux personnages principaux, Trémière et Déodat, découvrir la drôle de mythologie qui semble se tisser autour de leur vie tout en gardant un pied dans l'air moderne d'aujourd'hui. Amélie Nothomb est toujours très forte pour donner un côté intemporel à ses histoires en les situant cependant dans le monde actuel. 
« Certaines personnes avaient pitié de la toute petite fille qui vivait seule dans cette ruine avec une sorcière. Elles devaient pourtant admettre qu’elle semblait heureuse et en bonne santé. "L’enfance est un miracle", pensait-on. "On peut partager le quotidien d’une vieille folle et s’en accommoder." »
L'auteure, qui nous a déjà prouvé mainte et mainte fois qu'elle maîtrise l'art du discours, utilise ici le procédé plus discrètement. On ne se perd pas dans de longs échanges entre les personnages. Les discours sont plus souvent intérieurs, les points de vue internes, ce qui laisse place à un récit plus prenant. On retrouve cependant toujours le ton incisif de l'auteur dans ses différentes analyses sur la nature de l'humain, et ici sur la question de la beauté, de l'art, de l'intelligence. Mais plutôt que de nous présenter ses analyses dans de longues dissertations qui plombent le rythme et enlisent dans la lecture, elles servent ici le récit et sont habilement disséminées dans celui-ci. La lecture est donc très agréable : on retrouve ce qu'on adore chez l'auteur, son style et son ton si particulier, mêlés à une histoire prenante pour laquelle on se prend vraiment d'intérêt.
« Pour qui aime, découvrir que l’aimée porte un prénom admirable équivaut à un adoubement. »
Construit comme une drôle d'oxymore disproportionnée, on prend plaisir à se plonger dans ce de conte à la fois cynique et poétique où la beauté côtoie la laideur, où l'absurde se mêle au pragmatique. Un bon nouveau roman dans la lignée des premiers roman d'Amélie Nothomb.






jeudi 25 août 2016

[Livre] Albert sur la banquette arrière d'Homer Hickman

Mosaic - Juin 2016
416 pages
Date de sortie originale : 24 septembre 2015
Titre Vo : Carrying Albert Home

C’est l’histoire d’un couple où l’un aime et l’autre pas. C’est l’histoire de Homer, honnête mineur de Virginie, d’Elsie, sa jeune épouse aux rêves déçus, et d’Albert. Mais qui est donc Albert ? Un alligator. Un cadeau de mariage qu’Elsie a reçu du grand amour de sa vie quand elle s’est résignée à épouser Homer. Une petite bête facétieuse et un peu cruelle, qui s’interpose sans cesse entre elle et son mari. Que fait Albert sur la banquette arrière ? On le ramène chez lui. Exaspéré par les tours féroces que lui joue l’alligator, Homer pose un ultimatum à Elsie : c’est Albert ou lui… Ainsi commence une expédition à trois vers la Floride, pour ramener Albert chez lui. Une aventure pleine de rebondissements, de rencontres…
(Source : Mosaic)

14/20

Albert sur la banquette arrière est un déluge d'aventures et de péripéties toutes plus rocambolesques les unes que les autres. Il leur en arrive des choses à nos deux protagonistes (trois en comptant Albert l'alligator, quatre en comptant le coq).
« Ensemble, ils vécurent une grande aventure, sur la route du Sud, sous des cieux que je me représentais illuminés par le soleil doré du peintre et la lune argentée du poète. »

Ce road trip fantasque sur fond d'Amérique des années 30, période de la Grande Dépression, n'a en effet rien de singulier. On embarque très vite dans ce drôle de récit mêlant fiction et réalité. L'histoire est fractionnée en différentes étapes, chacune correspondant à une nouvelle aventure pour les personnages. Si le découpage permet d'avoir l'impression de suivre un énorme carnet de voyage (le narrateur, qui est aussi l'auteur en personne, intervient entre chaque partie pour expliquer d'où il tient telle ou telle histoire du voyage de ses parents), on finit cependant par se lasser un peu sur la fin. Les différentes péripéties ont beau avoir comme fil rouge commun le voyage pour ramener Albert l’alligator de la Virginie-Occidentale à chez lui à Orlando, l'avalanche de personnages, catastrophes, quiproquos, hasards et rencontres qui se mettent sur le chemin des protagonistes devient un peu redondante, une fois les deux cent premières pages passées. C'est ce que je reproche le plus au roman : cet excès d’événements qui arrivent à tout moment et a fini par plus me lasser que constamment m'amuser. Ça rend parfois la fantaisie plus monotone que délurée.
«  Ainsi va le destin ! Il nous emmène dans des directions étranges qui nous en apprennent non seulement sur la vie, mais aussi sur son but véritable. »

À côté de ça, on ne peut enlever à Homer Hickman ni son don pour l'utilisation du cocasse, ni son imagination. J'ai beaucoup aimé l'idée d'offrir aux lecteurs un hommage si personnel et en même temps fantasmé sur ses parents. On se plaît à penser que la plupart des faits racontés puissent être vrais. Le ton de l'histoire garde également toujours un fond très tendre qui rend les personnages attachants. Si le passif d'Homer m'a parfois un peu ennuyée et que l'air buté d'Elsie agace par instant, on se sent concerné par leur drôle de couple. Et puis, que dire d'Albert ! C'est peut-être le personnage que j'ai le plus apprécié finalement. J'ai adoré la façon dont l'alligator est traité comme une personne à part entière, ainsi que son caractère.
« Une rumeur commença à se répandre, selon laquelle Homer était malade, peut-être gravement. Les gens évoquèrent longuement son cas devant l'épicerie du village et le diagnostic semblait sans appel : la maladie d' Homer s'appelait "Elsie". Cette fille étrange - quoique charmante- était bien du genre à détruire un homme en exigeant de lui davantage que ce qu'il pouvait offrir. »

Si ce genre de grand récit mêlant humour et voyage ne fait désormais plus tout à fait partie de mes lectures aux histoires inédites (après Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson ou La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel de Romain Puértolas), j'ai apprécié la plume de l'auteur qui, malgré un récit parfois trop dense en aventures, reste toujours légère. Une lecture agréable pour l'été et pour s'évader un peu de sa monotonie quotidienne, à condition de réussir à rester bien accroché à l'histoire et à ses 400 pages qui semblent parfois un peu longues !




jeudi 18 août 2016

[Livre] Quand la nuit devient le jour de Sophie Jomain

Pygmalion - Avril 2016
224 pages
Date de sortie originale : 27 avril 2016


« On m'a demandé un jour de définir ma douleur. Je sais dire ce que je ressens lorsque je m'enfonce une épine dans le pied, décrire l'échauffement d'une brûlure, parler des noeuds dans mon estomac quand j ai trop mangé, de l'élancement lancinant d'une carie, mais je suis incapable d'expliquer ce qui me ronge de l intérieur et qui me fait mal au-delà de toute souffrance que je connais déjà. La dépression. Ma faiblesse. Le combat que je mène contre moi-même est sans fin, et personne n est en mesure de m'aider. Dieu, la science, la médecine, même l'amour des miens a échoué. Ils m'ont perdue. Sans doute depuis le début. J'ai vingt-neuf ans, je m appelle Camille, je suis franco-belge, et je vais mourir dans trois mois. Le 6 avril 2016. Par euthanasie volontaire assistée. »
(Source : Pygmalion)


14/20


Il existe des romans dont on comprend dès les premières pages que la lecture va être soit éprouvante, soit dérangeante. Avec Quand la nuit devient le jour, Sophie Jomain se lance dans un récit très sensible sur un sujet qui l'est tout autant : celui de l'euthanasie.
« Chaque personne devrait avoir le droit de mourir dignement. Quel que soit le mal dont elle souffre, invisible ou pas. »
Et pas n'importe quelle euthanasie ! L'euthanasie légale utilisée en solution à un mal-être et à une dépression incurables. Au premier abord, c'est un cas extrême qui m'a énormément choquée. Je ne savais tout simplement pas qu'il était légal dans certains pays (la Belgique dans l'histoire) de se faire euthanasier dans ce cas de figure. Comprenez bien, Camille est une jeune femme de 29 ans, saine d'esprit et physiquement en pleine santé. La douleur de Camille, celle qui la tue a petit feu et qui rend son existence invivable est psychologique. La jeune femme décide de mettre fin à ses jours à cause de ce mal-être. Et il existe donc des pays dans lesquels, si une armée de docteurs reconnait que ce mal-être est incurable, on vous donne le droit d'en finir à l'aide d'un processus médicalement assisté.
« Les maladies incurables sont généralement visibles à la longue, mais la mienne est sournoise. Elle se cache et donne l'illusion de ne pas exister. Elle est pourtant bien là, chaque jour, chaque nuit. Elle court dans mes veines comme un poison et insuffle à mes poumons un air irrespirable. »
Passé l'étape de l'interpellation face à cette révélation, on tente peu à peu de comprendre les raisons de Camille. Et la jeune femme nous les explique toutes en détails en début de roman. Elle nous relate sa descente en enfer, l'impossibilité pour elle de guérir et sa décision. Pourtant, et c'est là que Sophie Jomain est très bonne à mon sens, l'histoire prend rarement un tournant mélodramatique. On ne tombe jamais dans le pathos. La situation est triste évidemment, mais toujours abordée avec dignité. Parfois, le récit prend même un aspect presque trop analytique de la situation.
Cette façon d'écrire - que j'ai apprécié - et d'aborder le sujet de l'histoire permet à Sophie Jomain de présenter un roman qui ne penche jamais d'un côté ou l'autre de la balance : il n'est jamais fait l'apologie de l'euthanasie ou, au contraire, celle-ci n'est jamais jugée, condamnée. Dans le roman, il s'agit avant tout de choix, de vécus personnels et de dignité humaine.
« Une femme dotée d'un courage et d'une détermination exceptionnels, répète-t-il, mais cette obstination, Dieu que je l'admire et la hais. »
Quand la nuit devient le jour est un roman sur lequel donner son ressenti n'est pas chose aisée. Il est difficile de rester de marbre face au sujet qu'il aborde, de ne pas se sentir à la fois touché, révolté, de comprendre les choix de la protagoniste ou de les refuser catégoriquement. Il faut faire un très gros effort d'empathie pour réussir à se mettre dans la tête et dans la peau de Camille, pour ne pas condamner sa décision et, d'une certaine façon, l'accepter à défaut de la comprendre. Sophie Jomain réussit le pari de mettre en lumière un sujet très délicat et de le maîtriser pour en faire un roman qui interpelle, marque, reste à l'esprit et surprend même dans les tous derniers chapitres. On ressent dans l'implication de l'auteur derrière chacune de ses phrases que cette histoire lui tenait beaucoup à cœur. 






mercredi 17 août 2016

[Livre] En attendant Bojangles d'Olivier Bourdeaut

Finitude - Janvier 2016
160 pages
Date de parution originale : 7 janvier 2016

Sous le regard émerveillé de leur fils, ils dansent sur «Mr. Bojangles» de Nina Simone. Leur amour est magique, vertigineux, une fête perpétuelle. Chez eux, il n’y a de place que pour le plaisir, la fantaisie et les amis. Celle qui donne le ton, qui mène le bal, c’est la mère, feu follet imprévisible et extravagant. C’est elle qui a adopté le quatrième membre de la famille, Mademoiselle Superfétatoire, un grand oiseau exotique qui déambule dans l’appartement. C’est elle qui n’a de cesse de les entraîner dans un tourbillon de poésie et de chimères. Un jour, pourtant, elle va trop loin. Et père et fils feront tout pour éviter l’inéluctable, pour que la fête continue, coûte que coûte. L’amour fou n’a jamais si bien porté son nom.
(Source : Finitude)

16/20

En attendant Bojangles est une ode à la vie, à la joie, au non-commun. C'est une histoire qui s'incarne dans une excentricité, l'excentricité d'une famille vue à travers les yeux d'un petit garçon pour qui cette originalité qui fait son univers est des plus banales.
« Son comportement extravagant avait rempli tout ma vie, il était venu se nicher dans chaque recoin, il occupait tout le cadran de l'horloge, y dévorant chaque instant. Cette folie, je l'avais accueillie les bras ouverts, puis je les avais refermés pour la serrer fort et m'en imprégner, mais je craignais qu'une telle folie douce ne soit pas éternelle. Pour elle, le réel n'existait pas. »
On se laisse porter dans ce trio familial, dans leurs habitudes, leurs manies. Tout est cocasse dans leur façon de vivre. De leur liberté à partir en vacances quand ils le souhaitent, à Mademoiselle Superfétatoire, la grue de Namibie qui vit avec eux et adore la lecture, en passant par la mère qui change de prénom tous les matins. Et au milieu de tout ça ? Un enfant : le narrateur.

Olivier Bourdeaut nous propose un récit d'enfance entrecoupé d'extraits d'une sorte de journal intime écrit par le père de celui-ci. On suit les prémices et la construction de cette drôle de famille en parallèle de sa routine quotidienne qui n'a rien pourtant strictement rien de routinière !
« Le temps d'un cocktail, d'une danse, une femme folle et chapeautée d'ailes, m'avait rendu fou d'elle en m'invitant à partager sa démence. »
Les émotions se mélangent, s'alternent tout au long du récit. On est amusé par le drôle de trio (de quatuor, en comptant Mademoiselle !) tout en étant touché par la tournure dramatique que peut parfois prendre la vie. Le ton d'Olivier Bourdeaut semble toujours juste, à la fois naïf, tendre et pourtant, emprunt d'une certaine gravité qui transparaît de plus en plus à mesure que l'histoire progresse.
« Puis, lorsque le dernier quartier ensoleillé disparaissait derrière le sommet de la montagne, Bojangles retentissait, porté dans l'atmosphère par la voix douce et chaude de Nina Simone. C'était tellement beau que tout le monde se taisait pour regarder Maman pleurer. »
Avec ses 160 pages, En attendant Bojangles est un court roman marquant, une petite perle d'originalité pleine de névrose et d'amour qui se dévore le temps d'une valse, comme une grande bouffée de fraîcheur.




mardi 16 août 2016

[Livre] POLICE d'Hugo Boris

Grasset - Août 2016
198 pages
Date de parution originale : 24 août 2016

 Ils sont gardiens de la paix. Des flics en tenue, ceux que l’on croise tous les jours et dont on ne parle jamais, hommes et femmes invisibles sous l’uniforme. Un soir d’été caniculaire, Virginie, Érik et Aristide font équipe pour une mission inhabituelle : reconduire un étranger à la frontière. Mais Virginie, en pleine tempête personnelle, comprend que ce retour au pays est synonyme de mort. Au côté de leur passager tétanisé, toutes les certitudes explosent. Jusqu’à la confrontation finale, sur les pistes de Roissy-Charles-de-Gaulle, où ces quatre vies s’apprêtent à basculer. En quelques heures d’un huis clos tendu à l’extrême se déploie le suspense des plus grandes tragédies. Comment être soi, chaque jour, à chaque instant, dans le monde tel qu’il va ?
(Source : Grasset)


14/20

POLICE est là mise sous-tension de trois collègues, de trois policiers, qui se retrouvent, un soir, chargés de la mission d'escorter un réfugié à l'aéroport Charles de Gaulle dans le but de son expulsion du pays.
Si le sujet traité par Hugo Boris est évidemment d'actualité – souvent exposé du point de vue des victimes et donc de l'horreur de la chose -, il est ici pointé du doigt dans un huis-clos finement mené et surtout, très humain.
« Par terre, son gilet pare-balles tient tout seul, donne l'illusion qu'elle a arraché sa cage thoracique pour la poser là un instant. Elle s'est voûtée sous son poids au cours de la journée. Elle redresse la tête, son visage est le même dans le miroir du lavabo. Il ne trahit pas sa pensée, celle d'être une femme qui avorte demain. »

Les trois policiers ne sont pas présentés comme des bourreaux sans cœur, on apprend furtivement à connaître des fragments de leur vie, de leur passé, de leurs sentiments intérieurs aussi. Des images qui laissent transparaître beaucoup d'humanité (et de failles), tout autant que dans leur façon d'aborder leur mission nocturne et de se heurter à la réalité quant à l'expulsion de certains réfugiés.
« Le sang sur son treillis n'est pas le sien. Elle est intervenue sur une bagarre plus tôt dans la journée , se sera salie à cette occasion. Elle est seule dans le vestiaire, debout à côté du lavabo , jambes nues sur le carrelage, à fouiller parmi les pantalons de son casier. Elle en passe un premier qui lui arrive à mi-ventre. Elle sait que le poids du ceinturon, de l'arme, du chargeur, des menottes et de la matraque fera redescendre le treillis au niveau des hanches. »

La reconduite à la frontière du réfugié reste le sujet central du livre, mais la façon dont il est traité – en toile de fond parfois - laisse l'esprit de Virginie, la policière qui fait le plus office de personnage principale, se disperser vers des sujets personnels tels la maternité, l'adultère, la difficulté d'être une femme dans un monde d'hommes. Cette façon constante de s'éloigner du sujet du roman pour y revenir m'a énormément plu, on a réellement l'impression de se retrouver plongé dans l'esprit en pleine introspection de quelqu'un se retrouvant tiraillé par ses choix, ses valeurs et cogite sur les décisions à prendre, qu'elles soient immédiates ou non.

Avec ce huis-clos qui ne dure que le temps de quelques heures, d'une voiture de police à un aéroport, Hugo Boris prend le parti-pris de traiter le sujet des réfugiés d'un point de vue assez différent de celui que l'on peut avoir d'ordinaire. Ici, le réfugié ne participe pas réellement au cheminement internet de l'histoire, il n'est que la cause, la cassure dans la vie des trois policiers, celle qui les amène à remettre en question leur vie et leur métier. Ce point de vue ciblé sur la Police est un parti-pris qui aurait pu paraître risqué si l'auteur ne l'avait pas abordé avec autant de finesse, de normalité et d'humanité. Un très bon roman sur le sujet qui, comme le laisse suggéré la typographie du titre du livre sur la couverture, nous permet, le temps d'un instant, de passer de l'autre côté du miroir, de l'autre côté de l'uniforme.