lundi 12 octobre 2015

[Livre] La Maison du sommeil de Jonathan Coe

Gallimard, Folio - 2000
459 pages
Date de parution originale : 29 mai 1997
Titre VO : The House of Sleep

De bien curieux événements se déroulent à Ashdown, inquiétante demeure perchée sur une falaise des côtes anglaises. Naguère, c'était une résidence universitaire, où se sont croisés Sarah la narcoleptique, Gregory le manipulateur, Veronica la passionnée, Robert l'amoureux transi, Terry le cinéphile fou. Leurs destins ont divergé, mais les spectres du passé continuent de hanter Ashdown, devenue une clinique où le sinistre docteur Dudden se livre à de monstrueuses expériences sur les troubles du sommeil. Par quelles mystérieuses coïncidences tous les personnages vont-ils s'y retrouver ? Et quelles transformations vont-ils subir ? Une fresque foisonnante et rigoureuse où l'illusion amoureuse va jusqu'à l'extrême limite de sa réalisation, et où la vérité sort toujours des rêves. 


15/20

Jonathan Coe faisait de partie de mes auteurs "à lire" mais dont je trouvais toujours le moyen de repousser la lecture (je trouve de toute façon TOUJOURS le moyen de ne jamais lire ce que j'ai sous la main). Il aura fallu la lecture commune d'octobre sur Booknode pour enfin me décider... et c'est donc désormais chose faite ! Et pour une première lecture de l'auteur britannique, je suis totalement convaincue.
« Après un silence, Gregory murmura : "Je te demande pardon" d’une voix basse et confuse, et il lui saisit la main. Puis il se pencha pour l’embrasser. " Je ne voulais pas te réveiller, répéta-t-il. Il fallait que je les touche. C’est incroyable…" (elle devina son sourire dans la pénombre de la pièce) "… il y a tellement de vie sous tes paupières pendant que tu dors ; je voyais ça. Et j’ai voulu toucher ça ; j’ai senti ça au bout de mes doigts." »
La maison du sommeil est un roman complexe à l'histoire mystérieuse et à la structure intrigante. Grâce à sa construction très travaillée, Coe nous fait jongler d'une époque à une autre (passant des années 1983-84 à l'année 1995), enchaîne les stades du sommeil pour découper son roman (état de veille, stade 1, stade 2, stade 3, stade 4 et sommeil paradoxal) et manie habillement les mises en abîmes. On est pris dans la toile, intrigué par les histoires de tous ces protagonistes dont on découvre au fur et à mesure le passé et le présent avec toutes les liaisons qu'ils peut exister entre les deux temps... et entre les différents personnages. Car c'est un aspect du roman que j'ai beaucoup aimé : cette habileté à tout mélanger, à établir des connexions entre chaque élément, aussi insignifiant qu'il puisse être. Du coup, si le déroulement de l'histoire m'a semblé un peu difficile à suivre au début, une fois prise dedans, j'ai vraiment apprécié ma lecture.
« Le dormeur est démuni, impuissant. Le sommeil met les plus puissants à la merci des plus faibles. »
J'ai aimé découvrir les liens entre ces morceaux de plusieurs vies, comment le passé explique le présent dans les parties de 1996, comment les personnages que l'on découvre en 1984 ont évolué une dizaine d'années plus tard. Et si l'histoire et d'autant plus intéressante à suivre, c'est parce que Jonathan Coe nous propose un récit dans lequel les différents personnages ont des psychologie établies avec beaucoup de finesse et de maîtrise. L'amoureux transit, la narcoleptique, l'excentrique, le savant fou, ils sont tous fascinant à découvrir, dans leurs personnalités, leurs névroses, leur certitudes, leurs rapports aux choses et à eux-mêmes. J'ai adoré le personnage de Terry, déjà pour ses transgressions constantes sur le cinéma, et puis pour ce côté ironique que l'auteur utilise si bien à travers ce personnage. Jonathan Coe ne se gêne pas pour donner à sa plume un ton grotesque dans les choses dont il cherche à se moquer ouvertement. Et j'ai trouvé les passages concernés (l'histoire de l'article mal corrigé, le séminaire des médecins) vraiment amusants, je les attendais avec impatience à chaque fois.
« "Je sais que c’est un cliché de dire que les films sont les rêves d’un inconscient collectif, commença Terry. Mais il m’a semblé que personne n’avait jamais vraiment pénétré cette idée à fond. Il y a diverses sortes de rêves, n’est-ce pas ? De même qu’il y a des films d’horreur, qui correspondent aux cauchemars, et des films cochons, comme Gorge profonde et Emmanuelle, qui correspondent aux rêves érotiques." Il prit une lampée de son chocolat sirupeux, en s’enflammant pour son sujet. "Et puis il y a les remakes, les histoires qu’on se raconte encore et encore, et qui correspondent aux rêves récurrents. Et il y a les rêves consolateurs, visionnaires, comme Horizons perdus ou Le Magicien d’Oz. Mais lorsqu’un film est perdu, qu’on ne le montre plus, que les copies sont introuvables, que personne ne les voit plus jamais, c’est la plus belle sorte de rêve. Parce que c’est peut-être le rêve le plus sublime qu’on ait fait dans sa vie, mais qui s’efface quand on se réveille, et dont quelques secondes plus tard on ne se rappelle aucun détail." »
Avec son histoire alambiquées, ses coïncidences qui ne semblent jamais tout à fait en être, et son ton souvent ironique, La Maison du sommeil est un roman maîtrisé que j'ai aimé découvrir. Coe a de la suite dans les idées et sait parfaitement où mener son lecteur. Si on peut lui reprocher un traitement peu approfondi du thème du sommeil (on apprend deux trois choses, c'est vrai, mais le sujet reste superficiel) et une intrigue qui se devine sur la fin, on prend tout de même plaisir à en lire le dénouement qui, fait à partir de documents annexes (lettre, retranscription) est une façon originale de clôturer cette histoire. Quoiqu'il en soit, ce n'est sûrement pas le dernier roman que je lis de l'auteur.




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