dimanche 26 avril 2015

[Livre] L'homme dans le labyrinthe de Robert Silverberg

J'ai lu, 2007 - 320 pages
Date de parution originale : 1969
Titre Vo : The Man in the Maze

Tous les hommes qui avaient tenté de pénétrer dans le labyrinthe de Lemnos avant Muller étaient morts d'une façon atroce. Tous ceux qui avaient essayé de l'y rejoindre par la suite avaient été massacrés. Aujourd'hui, Ned Rawlins vient d'atterrir près du labyrinthe. Il a reçu l'ordre de ramener Muller sur la Terre, sa planète natale qui a besoin de lui. Sa planète qui, neuf ans auparavant, l'avait impitoyablement chassé, forcé à se réfugier au cœur de ce labyrinthe aux dédales mortels. Quelles chances Rawlins a-t-il de survivre et d'accomplir sa mission ?

15/20

Robert Silveberg dort dans ma bibliothèque depuis presque deux ans sous la forme d'un de ses recueils de nouvelles : Né avec les morts. J'ai toujours repoussé cette lecture et il aura fallu qu'une lecture commune sur L'homme dans le labyrinthe pointe le bout de son nez pour qu'enfin, je me décide à lire un premier livre de l'auteur. Il faut dire que le titre intrigue et que le résumé est aguichant. Alors, prêts à tenter le voyage dans le labyrinthe ?

Un point sur l'histoire d'abord ! On suit l'arrivée d'un vaisseau sur une planète. À son bord, tout un équipage de terriens dirigés par un certain Broadman. Le groupe d'hommes a pour objectif de venir récupérer un homme, en exil sur la planète depuis près de neuf ans. L'homme en question, Muller, a trouvé refuge au fin fond d'un labyrinthe aussi gigantesque que dangereux. Le parcours pour arriver jusqu'à lui n'est pas sans danger et pourtant, l'enjeux est crucial : les hommes ont besoin de Muller et de son étrange capacité, il est l'un des seuls espoirs de la Terre...



L'histoire s'axe sur trois personnages principaux que l'auteur prend soin de développer. Muller, figure du héros fort et rejeté, Rawlins qui incarne la jeunesse et la sensibilité et enfin, Broadman, l'homme âgé, calculateur et rusé. On reste dans des bases très classique, mais ça fonctionne. Au travers eux, leurs personnalité respective et leurs ambitions, Silveberg dresse des réflexions poussées sur la nature profonde des hommes, sur ce fameux Hybris (la démesure amenée par l’orgueil) que le personnage de Muller, dans son ambition des étoiles, représente parfaitement. Muller, ce héros déchu devenu néfaste et rejeté par les hommes. Les flash-backs nous sortent un temps du huis-clos du labyrinthe et permettent de suivre le cheminement du personnage de Muller et comprendre sa situation actuelle. Car l'homme est affligé d'un mal immonde, celui de transmettre aux gens sous forme d'émotions, de ressentis ce qu'il y a de pire chez l'homme : colère, dépression, dégoût et j'en passe. J'aime beaucoup l'idée de cette pathologie très mystérieuse (et très humaine aussi) qui ronge le héros, l'amène à rejeter le genre humain pour ce qu'il représente, autant que celui-ci l'a rejeté par le passé. C'est assez violent comme façon de concevoir les choses. 
« Rawlins, en un éclair, avait pris conscience des discordes et des troubles qui étaient le sort commun : les chances gâchées, les amours ratées, les paroles trompeuses, les douleurs injustes, les désirs, les envies, les convoitises coupables, la morsure de la faim, les frustrations qui rongent et brûlent la chaîne du temps, la mort des petits insectes en hiver, les larmes des choses. Il avait reçu d'un coup le vieillissement, l'affaiblissement, l'impotence, la fureur, l'abandon, la solitude, l'isolement, la désolation, la rage impuissante et la folie. C'était un hurlement silencieux criant la colère cosmique. »
Mais plus que seulement l'histoire, il y a son concept. Le nom de la planète où se déroule une grande partie de l'aventure ne laisse planer aucun doute. Lemnos . Ou encore l'Île Lemnos d'un célèbre mythe écrit par Sophocle. L'histoire est en effet une réécriture parfaite du mythe de Philoctète, chaque élément et personnage étant transposé avec beaucoup de brillo dans un univers de science-fiction qu'il est fascinant de découvrir. Muller est ainsi Philoctète, le personnage de Néoptolème prend ici les traits de Rawlins, quant à Broadman, ce n'est pas moins que le rôle du grand Ulysse dont il se retrouve affublé. 
Cet aspect mythologique omniprésent est réellement intéressant, surtout associé à un thème tel que la SF, les deux n'étant pas toujours aussi éloignés qu'on peut le croire. Comme quoi, que ce soit dans l'Antiquité ou dans un futur très éloigné, les préoccupations et grands sujets de questionnement des hommes gardent globalement la même essence. L'homme et sa complexité peuvent se révéler intemporels !
« Vous voyez la vérité a éclaté. Je n'étais pas un dieu. Seulement un pauvre homme mortel qui avait subi des désillusions à propos de sa déité. Les dieux véritables ont compris qu'il fallait que j'apprenne ma leçon jusqu'au bout. Ils ont décidé qu'il faudrait que je me souvienne toujours de la bête misérable cachée sous la couche d'épiderme. Surtout, ne jamais oublier l'animal sous la dépouille humaine. »
Et puis bien sûr, il y a cet élément central : le Labyrinthe. Quoi de plus symbolique ?  C'était l'élément parfait à incruster à cette réécriture. Image de la connaissance, de la résurrection, des obstacles à surmonter. Le Labyrinthe est un lieu d'épreuves, qui nous change et dans lequel on se retrouve. Et ici, des épreuves, il y en a à la pelle. C'est armé de courage et de forces morales et physique qu'il faut tenter le périple. J'ai beaucoup aimé le cheminement dans ces passages tortueux pleins de pièges et de créatures horribles venues d'un autre monde, dans cette impressionnante construction qui semble douée d'une volonté propre (pourtant minutieusement orchestrée) et qui fascine autant qu'elle fait froid dans le dos. Une chose est certaine, en y mettant les pieds, les personnages n'en ressortiront pas indemnes.

L'univers proposé par Silveberg est très cohérent, tout y est minutieusement expliqué. J'aime beaucoup ce genre de science-fiction, pleine d'une complexité pourtant très simple à assimiler. Silveberg sait nous capturer dans les mondes qu'il invente. À travers cette science-fiction, il met sur le tapis d'une façon assez intéressante l'importance accordée à l'image et à l'apparence dans cette société où la bienséance passe par le fait d'afficher sa beauté, sa jeunesse aux autres en entretenant son corps par le biais de remodelages et de toutes les technologies de l'époque. Un époque axée vers une nécessité d'aller toujours plus loin dans la découverte de nouveaux mondes, de nouvelles intelligences et où les besoins les plus élémentaires peuvent être satisfaits pas des machines... un futur assez terne et très artificiel en fin de compte.
« On prétend que notre époque offre le plus grand champ à l'existence humaine, mais je crois qu'un homme gagne plus à connaitre chaque grain de sable doré d'une île du Pacifique que de passer sa vie à bourlinguer ainsi, de monde en monde. »
J'ai beaucoup aimé cette lecture, elle amorce ma découverte de l'auteur et m'a rendu très curieuse de découvrir d'autres de ses romans. L'histoire m'a captivée, je l'ai dévoré le temps d'une nuit. Au fur et à mesure que l'intrigue se tisse, on se fait, nous aussi un peu prendre au piège au sein de ce labyrinthe servant de théâtre à cette tragédie futuriste....




2 commentaires:

  1. Pfffffiiiiiuuuuuu !!!! Eh ! Ben tu vas loin, toi :O)

    Bon, je n'ai pas fini de le relire - et je ne connais pas le mythe de Sophocle donc je n'irai pas dans autant de réflexion que toi - mais oui, je trouve que la force de Silverberg est d'être particulièrement lisible avec des idées (très) originales.

    J'avais beaucoup aimé Les Royaumes du Mur (1993), Lettres de l'Atlantide (1992)... L'homme dans la labyrinthe (1970) me paraît avoir plus de défauts dans les tenants et aboutissants, comme "Un jeu cruel" (1977)...

    L'impression, donc, que le bonhomme se bonifie avec le temps - sauf que je l'ai lâché avec sa fantasy et Majipoor : j'ai pas marché pour un rond !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Haha, j'avais des cours de culture antique à la Fac... ^^' J'ai des restes ! Ça me disait quelque chose tout ça, alors je suis allée vérifier et ça ne fait vraiment aucun doute que c'est la même histoire !
      En gros, Philoctète est un grand guerrier qui a cependant été abandonné sur l'île de Lemnos par Ulysse dix ans auparavant. Il avait été blessé et ses cris de douleurs faisaient peur à l'équipage alors hop ! Sur une île déserte :p Sauf qu'un jour, Ulysse se rend compte qu'il a besoin des armes (très puissante) de Philoctète, que celui-ci a gardé avec lui sur l'île, pour conquérir Troie. Il envoie alors Néoptolème, un jeune garçon sympathique, pour aller amadouer Philoctète. Bon, je ne te raconte pas la fin, mais ça se passe comme dans le roman de Silveberg aussi ^^

      Les Lettres de l'Atlantide me disent bien ! J'adore le mythe en question en plus. Enfin bon, vu qu'il n'est plus édité, faut voir s'il peut se dénicher ^^

      Supprimer