dimanche 26 avril 2015

[Livre] L'homme dans le labyrinthe de Robert Silverberg

J'ai lu, 2007 - 320 pages
Date de parution originale : 1969
Titre Vo : The Man in the Maze

Tous les hommes qui avaient tenté de pénétrer dans le labyrinthe de Lemnos avant Muller étaient morts d'une façon atroce. Tous ceux qui avaient essayé de l'y rejoindre par la suite avaient été massacrés. Aujourd'hui, Ned Rawlins vient d'atterrir près du labyrinthe. Il a reçu l'ordre de ramener Muller sur la Terre, sa planète natale qui a besoin de lui. Sa planète qui, neuf ans auparavant, l'avait impitoyablement chassé, forcé à se réfugier au cœur de ce labyrinthe aux dédales mortels. Quelles chances Rawlins a-t-il de survivre et d'accomplir sa mission ?

15/20

Robert Silveberg dort dans ma bibliothèque depuis presque deux ans sous la forme d'un de ses recueils de nouvelles : Né avec les morts. J'ai toujours repoussé cette lecture et il aura fallu qu'une lecture commune sur L'homme dans le labyrinthe pointe le bout de son nez pour qu'enfin, je me décide à lire un premier livre de l'auteur. Il faut dire que le titre intrigue et que le résumé est aguichant. Alors, prêts à tenter le voyage dans le labyrinthe ?

Un point sur l'histoire d'abord ! On suit l'arrivée d'un vaisseau sur une planète. À son bord, tout un équipage de terriens dirigés par un certain Broadman. Le groupe d'hommes a pour objectif de venir récupérer un homme, en exil sur la planète depuis près de neuf ans. L'homme en question, Muller, a trouvé refuge au fin fond d'un labyrinthe aussi gigantesque que dangereux. Le parcours pour arriver jusqu'à lui n'est pas sans danger et pourtant, l'enjeux est crucial : les hommes ont besoin de Muller et de son étrange capacité, il est l'un des seuls espoirs de la Terre...



L'histoire s'axe sur trois personnages principaux que l'auteur prend soin de développer. Muller, figure du héros fort et rejeté, Rawlins qui incarne la jeunesse et la sensibilité et enfin, Broadman, l'homme âgé, calculateur et rusé. On reste dans des bases très classique, mais ça fonctionne. Au travers eux, leurs personnalité respective et leurs ambitions, Silveberg dresse des réflexions poussées sur la nature profonde des hommes, sur ce fameux Hybris (la démesure amenée par l’orgueil) que le personnage de Muller, dans son ambition des étoiles, représente parfaitement. Muller, ce héros déchu devenu néfaste et rejeté par les hommes. Les flash-backs nous sortent un temps du huis-clos du labyrinthe et permettent de suivre le cheminement du personnage de Muller et comprendre sa situation actuelle. Car l'homme est affligé d'un mal immonde, celui de transmettre aux gens sous forme d'émotions, de ressentis ce qu'il y a de pire chez l'homme : colère, dépression, dégoût et j'en passe. J'aime beaucoup l'idée de cette pathologie très mystérieuse (et très humaine aussi) qui ronge le héros, l'amène à rejeter le genre humain pour ce qu'il représente, autant que celui-ci l'a rejeté par le passé. C'est assez violent comme façon de concevoir les choses. 
« Rawlins, en un éclair, avait pris conscience des discordes et des troubles qui étaient le sort commun : les chances gâchées, les amours ratées, les paroles trompeuses, les douleurs injustes, les désirs, les envies, les convoitises coupables, la morsure de la faim, les frustrations qui rongent et brûlent la chaîne du temps, la mort des petits insectes en hiver, les larmes des choses. Il avait reçu d'un coup le vieillissement, l'affaiblissement, l'impotence, la fureur, l'abandon, la solitude, l'isolement, la désolation, la rage impuissante et la folie. C'était un hurlement silencieux criant la colère cosmique. »
Mais plus que seulement l'histoire, il y a son concept. Le nom de la planète où se déroule une grande partie de l'aventure ne laisse planer aucun doute. Lemnos . Ou encore l'Île Lemnos d'un célèbre mythe écrit par Sophocle. L'histoire est en effet une réécriture parfaite du mythe de Philoctète, chaque élément et personnage étant transposé avec beaucoup de brillo dans un univers de science-fiction qu'il est fascinant de découvrir. Muller est ainsi Philoctète, le personnage de Néoptolème prend ici les traits de Rawlins, quant à Broadman, ce n'est pas moins que le rôle du grand Ulysse dont il se retrouve affublé. 
Cet aspect mythologique omniprésent est réellement intéressant, surtout associé à un thème tel que la SF, les deux n'étant pas toujours aussi éloignés qu'on peut le croire. Comme quoi, que ce soit dans l'Antiquité ou dans un futur très éloigné, les préoccupations et grands sujets de questionnement des hommes gardent globalement la même essence. L'homme et sa complexité peuvent se révéler intemporels !
« Vous voyez la vérité a éclaté. Je n'étais pas un dieu. Seulement un pauvre homme mortel qui avait subi des désillusions à propos de sa déité. Les dieux véritables ont compris qu'il fallait que j'apprenne ma leçon jusqu'au bout. Ils ont décidé qu'il faudrait que je me souvienne toujours de la bête misérable cachée sous la couche d'épiderme. Surtout, ne jamais oublier l'animal sous la dépouille humaine. »
Et puis bien sûr, il y a cet élément central : le Labyrinthe. Quoi de plus symbolique ?  C'était l'élément parfait à incruster à cette réécriture. Image de la connaissance, de la résurrection, des obstacles à surmonter. Le Labyrinthe est un lieu d'épreuves, qui nous change et dans lequel on se retrouve. Et ici, des épreuves, il y en a à la pelle. C'est armé de courage et de forces morales et physique qu'il faut tenter le périple. J'ai beaucoup aimé le cheminement dans ces passages tortueux pleins de pièges et de créatures horribles venues d'un autre monde, dans cette impressionnante construction qui semble douée d'une volonté propre (pourtant minutieusement orchestrée) et qui fascine autant qu'elle fait froid dans le dos. Une chose est certaine, en y mettant les pieds, les personnages n'en ressortiront pas indemnes.

L'univers proposé par Silveberg est très cohérent, tout y est minutieusement expliqué. J'aime beaucoup ce genre de science-fiction, pleine d'une complexité pourtant très simple à assimiler. Silveberg sait nous capturer dans les mondes qu'il invente. À travers cette science-fiction, il met sur le tapis d'une façon assez intéressante l'importance accordée à l'image et à l'apparence dans cette société où la bienséance passe par le fait d'afficher sa beauté, sa jeunesse aux autres en entretenant son corps par le biais de remodelages et de toutes les technologies de l'époque. Un époque axée vers une nécessité d'aller toujours plus loin dans la découverte de nouveaux mondes, de nouvelles intelligences et où les besoins les plus élémentaires peuvent être satisfaits pas des machines... un futur assez terne et très artificiel en fin de compte.
« On prétend que notre époque offre le plus grand champ à l'existence humaine, mais je crois qu'un homme gagne plus à connaitre chaque grain de sable doré d'une île du Pacifique que de passer sa vie à bourlinguer ainsi, de monde en monde. »
J'ai beaucoup aimé cette lecture, elle amorce ma découverte de l'auteur et m'a rendu très curieuse de découvrir d'autres de ses romans. L'histoire m'a captivée, je l'ai dévoré le temps d'une nuit. Au fur et à mesure que l'intrigue se tisse, on se fait, nous aussi un peu prendre au piège au sein de ce labyrinthe servant de théâtre à cette tragédie futuriste....




lundi 20 avril 2015

[Livre] La petite fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel de Romain Puértolas

Le Dilettante, 2015 - 252 pages
Date de parution originale : 2015

Pour Providence Dupois, la vie, c'est un peu comme la mayonnaise : plus on s'agite et plus on a de chances de la réussir. Alors que la jeune et jolie factrice parisienne s'apprête à partir en Afrique chercher la petite fille qu'elle aime le plus au monde, un volcan islandais se réveille, paralysant l'ensemble du trafic aérien européen. D'aéroport en monastère tibétain, commence alors pour elle le plus haletant et le plus prodigieux des voyages. 
L'amour donne des ailes. Êtes-vous prêt à vous envoler ?


14/20

Si le style de Romain Puértolas s'est fait connaître grâce à son célèbre Fakir, c'est avec son nouveau roman que j'ai eu envie de découvrir l'auteur. Il faut dire que le titre est aussi long qu'il est intriguant et que le résumé laisse présager une belle histoire. Et en effet, l'auteur nous réserve quelques jolies surprises.

« Avaler un nuage, c'était Providence qui avait trouvé cette expression pour parler de sa maladie, la mucoviscidose. C'était bien trouvé. Ce que la petite fille ressentait au fond de ses poumons, c'était un peu ça, une douleur vaporeuse et sournoise qui l'étouffait légèrement mais sûrement, comme si elle avait avalé, un jour, par inattention, un gros cumulonimbus et qu'il était resté, depuis, coincé en elle. »
L'histoire retrace la folle aventure de Providence, jeune factrice parisienne, ayant décidé d'adopter Zahera, petite fille orpheline de l'autre côté de la mer, au Maroc. Seulement voilà, le sort s'acharne le jour où elle doit aller chercher Zahera et l’irruption du fameux volcan islandais au nom imprononçable cloue tous les avions au sol, l'empêchant d'aller rejoindre la fillette. Pourtant, Providence doit absolument partir, car il y a urgence ! En effet, Zahera est atteinte de mucoviscidose et il lui faut venir en France pour être mieux soignée.
« Car tant qu'il y avait de la vie, il y avait de l'espoir, et tant qu'il y avait des êtres humains, il y avait de l'amour. »
Dès les premières lignes, on retrouve le ton humoristique plutôt plaisant de l'auteur. Il est amusant de voir les jeux de mots, les situations décalées et l'absurde mélangés au sein d'une histoire qui promet de belles émotions. Il faut dire que l'auteur sait jouer avec les mots, mais également avec la corde sensible. Avec la maladie qui touche Zahera et l'amour débordant de Providence pour la petite fille, Romain Puértolas réunit les ingrédients pour réussir à toucher ses lecteurs. Cependant, si l’histoire est émouvante, il lui manque un côté très poignant. J'ai trouvé ça touchant, mais je n'ai pas été émue. 
« Le cœur est une grande armoire dans laquelle on enferme tous ceux que l'on aime pour les avoir toujours en soi et les trimballer partout avec soi dans la vie. »
Ce qui me marquera surtout, c'est la narration très agréable qui se lit rapidement et la construction de celle-ci, vraiment surprenante, qui nous réserve un joli twist final et donne tout son intérêt au roman. Je ne m'y attendais absolument pas, et j'ai beaucoup aimé la façon dont le roman se termine.
« Il faudrait toujours avoir un moine tibétain dans la poche en cas d'urgence, de dépression, de manque de foi ou de confiance en soi. »
Deux, trois petits choses à reprocher néanmoins, notamment un discours très convenu sur l'humanité, la guerre dans le monde ou la politique. J'aime bien que les auteurs aient leurs idées sur les choses et fassent passer leur message dans leurs romans, mais des fois je trouve ça très artificiel. Les passages hautement grandiloquents sur la paix, le bonheur et la joliesse de la vie me semblent toujours en trop lorsqu'ils prennent autant de place et sont aussi récurrents. C'est plein de bons sentiments, il n'y a pas à dire, et il est difficile de ne pas être en accord avec ces jolis idées pleines de positivismes, mais tout de même... c'est parfois un peu dégoulinant et ça s’essouffle vite.
« Le rire, c’est le pire qui puisse arriver à la maladie. Lui rire au visage. Ne jamais perdre espoir. Ne jamais abandonner. Car l’aventure n’est pas terminée. Ne jamais se lever de son siège et sortir de la salle de cinéma avant que le film ne soit terminé car la fin réserve souvent des surprises. De bonnes surprises. Le happy end. »
Le roman est agréable à lire, avec sa panoplie de personnages originaux très attachants et l'extraordinaire voyage que nous propose l'auteur. On en voit de toutes les couleurs, on adhère avec le ton pince sans rire, un peu déjanté qui essaye de nous faire accepter comme (presque) ordinaire ce qu'il y a de plus incroyable et ça se suit avec plaisir. Attention cependant à ne pas trop tirer sur la corde, l'auteur a trouvé un style qui fonctionne mais à petites doses.




samedi 18 avril 2015

[Film] Lost River de Ryan Gosling

Américain - 1h35
Sortie en France le 8 avril 2015
Avec : Saoirse Ronan, Christina Hendricks, Iain De Caestecker

Dans une ville qui se meurt, Billy, mère célibataire de deux enfants, est entraînée peu à peu dans les bas-fonds d’un monde sombre et macabre, pendant que Bones, son fils aîné, découvre une route secrète menant à une cité engloutie. Billy et son fils devront aller jusqu’au bout pour que leur famille s’en sorte.


15/20

Lorsque Ryan Gosling se laisse tenter à aller faire un tour derrière les caméras, le résultat est à la hauteur de ce que l'on aurait pu espérer. Avec ce premier film plein d'audace, le canadien ajoute indéniablement une nouvelle ligne à la longue liste de ses compétences.



Lost River est une surprenante fable macabre qui frôle presque le fantastique à certains moments et rappelle pourtant une vérité très crue sur les ravages de l'économie en crise et la noirceur de l'âme humaine. Dans les ruines d'une ville abandonnée par ses habitants surendettés, Gosling nous présente le combat de deux familles brisées qui tentent de s'en sortir et de garder leur maison. À travers ces décors de désolation où les ruines des hommes côtoient une nature luxuriante et envahissante, on découvre les décombres de maisons détruites peu à peu par les machines ou le feu, les quartiers désertés où règne la loi du plus fort et dans lesquels l'homme peut devenir une véritable bête.



Il ne faut pas attendre bien longtemps pour réaliser que l'on a sous les yeux un film à l'esthétique irréprochable. Dès les premières minutes, les plans s'enchaînent et les décors capturent notre attention pour ne la relâcher qu'à la toute fin du film (générique compris !). 
Gosling joue sur les couleurs et les contrastes. L'ambiance est lourde, hypnotique. On se sent englué dans ce trop plein d'ombres, d'images nocturnes qui nous renvoient aux états d'esprits des personnages, eux-mêmes prisonniers de leur propre univers. De cette atmosphère presque constamment irréelle, se dégage une poésie très glauque comme je les aime. C'est beau et troublant à la fois.
L'ambiance est également servie par une musique très présente et envoûtante signée par Johnny Jexwel. Il y a peu de dialogues et on passe finalement plus d'une heure et demi à s'en prendre plein les yeux et les oreilles. Je suis très sensible à la musique dans les films, ça joue très souvent sur mon appréciation finale de celui-ci et ici, j'ai eu des frissons durant une bonne partie du long-métrage. 



Dans cette univers à l'onirisme très noir évolue une poignée de personnages esquintés par la vie. Les acteurs frappent par la simplicité avec laquelle ils interprètent les rôles qui leur sont assignés. Touchants, effrayants, pervers, rusés, et tous, finalement, très mystérieux. Christina Hendricks est touchante dans son rôle de mère courageuse (d'ailleurs, elle tient exactement le même genre de rôle dans Dark Place de Gilles Paquet-Brenner, sorti la semaine dernière également, ça lui va décidément bien). J'aime beaucoup Saoirse Ronan et j'ai découvert ici Iain De Caestecker. J'ai été frappée par leur naturel qui apporte énormément à l'ambiance du film, notamment grâce à la façon dont Gosling les filme, réussissant à capter les expressions et regards avec beaucoup d'aisance.

Le scénario peut sembler parfois un peu trouble mais l'histoire de fond se suit avec attention et j'ai vraiment aimé les nombreuses symboliques très fortes qui donnent beaucoup de sens à cette intrigue obscure au premier abord. Des flammes ravageuses à cette ville oubliée dans les eaux troubles et vaseuses du lac, en passant par l'érotisme suggéré et malsain de certaines scènes et par la violence un peu bestiale et extrêmement glauque que l'on retrouve disséminée tout le long du film.

Je suis très bon public pour ce genre de film un peu inattendu, au propos brumeux et à l'atmosphère éthérée, mais dont la poésie me fascine. Le visuel très travaillé du film est ensorcelant, les tableaux se succèdent, se confondant à la musique qui hypnotise. C'est presque magnétique en ce qui me concerne, ce type de films parfois lent et contemplatif me trouble et m'enchante à la fois. Un coup d'essai qui paie !




jeudi 16 avril 2015

[Livre] La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil de Sébastien Japrisot

Gallimard - Folio Policier, 1998
312 pages
Date de parution originale : 1966

La dame dans l'auto : la plus blonde, la plus belle, la plus myope, la plus sentimentale, la plus menteuse, la plus vraie, la plus déroutante, la plus obstinée, la plus inquiétante des héroïnes...


16/20

J'ai déniché ce livre dans une librairie d'occasion, en fouillant un peu au hasard. Je n'avais jamais entendu parler de celui-ci ou de son auteur, mais j'ai tout de suite été irrémédiablement intriguée par son titre. Ces derniers temps, je choisis beaucoup mes lectures en fonction de leur titre et si les résultats sont parfois un peu décevant, on peut également tomber sur d'excellentes surprises. Ce roman en est une !

Danny Longo, jeune secrétaire dans une société de publicité, est chargée par son patron de l'amener lui et son épouse à l'aéroport. Ils confient leur voiture de collection Thunderbird à Danny et la charge, ensuite, de ramener celle-ci dans le pavillon du couple. Sur un coup de tête, la jeune femme décide d'emprunter la voiture durant l'absence de son boss, c'est à dire tout le week-end. La voilà donc partie dans un trip improvisé sur les routes de France. Direction le sud !
« Je suis née pour le mensonge. Il fallait bien qu’un jour j’en arrive à me prendre moi-même au plus abominable. »
Le voyage de Danny commence plutôt tranquillement. Les kilomètres et paysages défilent sous un soleil implacable et rien ne semble pouvoir entacher le voyage. Jusqu'à son arrêt dans une station service prêt de Fontainebleau. Dans les toilettes, un inconnu lui écrase sauvagement la main gauche avant de s'enfuir. Pourquoi cette agression gratuite ? Que vient-il réellement de se passer ? À partir de cet instant, rien ne va plus, l'escapade de rêve se transforme peu à peu en véritable cauchemar.
Nous voilà donc embarquer aux côtés de Danny dans un grand roman à la construction et au suspense délectables. 
« La douleur n'est pas noir, n'est pas rouge. C'est un puits de lumière aveuglante qui n'existe que dans votre tête. Et vous tombez quand même dedans. »
Sébastien Japrisot met en scène avec beaucoup de subtilité une héroïne ambiguë qu'il est fascinant de suivre. Naïve mais brillante, paumée et lucide à la fois, l'auteur joue sur les facettes de la personnalité de cette protagoniste à fleur de peau à laquelle on s'attache très vite. L'histoire est du point de vue subjectif de Danny durant une grande partie du roman, et on est partagé entre le sentiment de folie présumée et celui de rationalité acceptée dans laquelle évolue la jeune femme. À l'image de Danny, on ne sait jamais sur quel pied danser. Qui croire ? Que penser ?
« On ne peut pas traîner avec soi, pendant des années, la certitude de sa culpabilité sans finir par s’y complaire, par devenir folle. C’est cela certainement. »
Le roman est doté d'une construction qui m'a beaucoup plue. Découpée en quatre partie (La Dame, L'Auto, Les lunettes et Le fusil), la forme est très chouette, tout à fait en phase avec l'histoire et donne, logiquement, son titre au thriller. En parallèle, l'intrigue est merveilleusement bien ficelée. Au fil du voyage de Danny, les éléments deviennent de plus en plus perturbants, semant le doute dans l'esprit du lecteur qui ne sait plus ce qu'il doit croire. Mensonge ou folie ? On est pris dans cette curieuse mascarade dans laquelle Danny se retrouve embarquée et, inévitablement, les pages s'enchaînent sans que l'on s'en rende compte. 
« Est-ce que ça existe, de faire un pas aussi banal que tous les pas qu’on a faits dans sa vie, et sans se rendre compte, de franchir une frontière de la réalité, de rester soi, vivante et parfaitement éveillée, mais dans le rêve nocturne de mettons sa voisine de dortoir ? Et de continuer à marcher avec la certitude qu’on n’en sortira plus, qu’on est prisonnière d’un monde calqué sur le vrai mais totalement inepte, un monde monstrueux parce qu’il peut s’évanouir à tout instant dans la tête de la copine, et vous avec ? »
Un road trip haletant à travers la France, rempli d'une ribambelle de personnages qui servent tous l'histoire à leur façon et d'une intrigue incroyablement tissée qui se termine sur un retournement de situation réellement inattendu... À tout ça s'ajoute un style simple, fluide et efficace dans lequel on plonge avec plaisir. J'ai adoré me retrouver dans la tête de Danny et suivre le fil de ses pensées au rythme du récit. Il n'y a pas à dire, Sébastien Japrisot m'a vraiment impressionnée. C'est avec plaisir que je lirai un autre de ses romans.




mardi 14 avril 2015

[Film] Un homme idéal de Yann Gozlan

Français - 1h37
Sortie en France le 18 mars 2015
Avec : Pierre Niney, Ana Girardot, Thibault Vinçon


Mathieu, 25 ans, aspire depuis toujours à devenir un auteur reconnu. Un rêve qui lui semble inaccessible car malgré tous ses efforts, il n’a jamais réussi à être édité. En attendant, il gagne sa vie en travaillant chez son oncle qui dirige une société de déménagement…Son destin bascule le jour où il tombe par hasard sur le manuscrit d’un vieil homme solitaire qui vient de décéder. Mathieu hésite avant finalement de s’en emparer, et de signer le texte de son nom...


16/20

Un réalisateur inconnu au bataillon (Yoan Gozlan) mais un acteur principal (Pierre Niney) qui a beaucoup fait parler de lui grâce à son rôle dans Yves Saint Laurent. Ce n'est pas totalement pour Pierre Niney qu'Un homme idéal me faisait envie, mais surtout pour sa chouette bande annonce (eh oui, pour une fois !) qu'on m'avait sournoisement mise sous les yeux à la projection d'un autre film. Intriguée, il ne me restait plus qu'à trouver un cinéma le diffusant dans mon (petit) coin du monde... ce qui ne fut pas chose facile. Il y a des films qui ne sont jamais (ou alors trois mois plus tard) diffusés dans les quatre cinémas que je fréquente et c'est assez frustrant en général de ne pas pouvoir aller les voir. Enfin, sur les quatre cinéma, un d'eux avait le film à son programme, j'en ai donc profité !



Mathieu est un jeune auteur qui, malgré ses efforts, ne parvient pas à percer dans le milieu. Ses manuscrits sont refusés, les maisons d'éditions lui ferment leurs portes. Quand il n'est pas derrière son écran d'ordinateur à taper les pages de son roman, il travaille pour une société de déménagement. C'est pour cette raison, qu'un jour, il est envoyé dans la maison d'un vieil homme qui vient de décéder, dans le but de vider les lieux. Il tombe alors sur un vieux manuscrit, planqué sur le haut d'une armoire. Au fil des pages, Mathieu en devient certain, le manuscrit renferme une histoire extraordinaire. Il devient alors si tentant de s'en emparer...

Le film, abordant les sujets du plagiat ou de l'usurpation d'identité déjà abordés de nombreuses fois au cinéma, m'a beaucoup fait penser à The Words de Brian Klugman et Lee Sternthal. Ayant adoré ce film, j'étais contente de retrouver les thèmes abordés à la sauce française... surtout que c'est réussi ! Il faut dire qu'il m'arrive d'être assez dure avec les thrillers français (souvent déçue par ceux-ci), alors quand le film me captive, je suis plutôt satisfaite. Et il n'y a pas à chipoter, Un homme idéal est un très bon thriller français.




Il est captivant de suivre Mathieu, de voir son mensonge prendre des proportions insoupçonnées et complètement démesurées. Dès le départ, on se doute que le couperet finira par tomber, que la mascarade n'est pas vouée à durer, et pourtant, on ignore quand le masque va réellement se fissurer.
Les années passent et c'est (évidemment) lorsque le héros a enfin tout ce qu'il désire que les ennuis pointent le bout de leur nez. Le rêve se brise et, de fil en aiguille, le cauchemar commence. La pression de devoir écrire un nouveau roman quand le premier n'était en réalité pas de lui, les problèmes d'argent, la menace de la découverte du plagiat, toujours extrêmement présente.
Le réalisateur s'amuse avec les sous-entendus, les situations anxiogènes, les erreurs commises par le héros qui, pris au piège, s'enfonce toujours un peu plus dans ce qu'il y a de pire en lui. Le thriller est très efficace et malgré un rythme un peu lent au début, les événements finissent par s'enchaîner et rendent l'atmosphère vraiment oppressante.




Yann Gozlan a pris le parti de cibler son film presque exclusivement sur le personnage de Mathieu. Ana Girardot est du coup assez peu présente (c'est dommage, je l'aime beaucoup) mais elle fait tout de même son petit effet. L'histoire se concentre donc surtout sur Pierre Niney, qui est, ici, vraiment très bon. C'est un vrai caméléon. Sympathique, profiteur, froid, menteur, mis à nu dans ses moments de faiblesse. Il interprète à la perfection ce personnage qui, souvent mis au pied du mur, devient peu à peu profondément calculateur. Figure sombre mais pas antipathique, on est cependant surpris à espérer qu'il s'en sorte malgré ses actes. Niney jongle avec les différents masques de Mathieu et rentre avec brio dans la peau de son personnage.

Avec ses une heure et trente-sept minutes, Un homme idéal est court mais construit avec minutie. Au fur et à mesure que l'histoire avance et s'assombrie on ressent vraiment la descente en enfer du protagoniste avec son intrigue un brin glauque qui enlise ses personnages et une ambiance qui se fait de plus en plus oppressante. Le film propose une plongée tortueuse dans le mensonge au côté d'un personnage complexe et laisse une forte impression une fois terminé ! Un chouette film français.




dimanche 12 avril 2015

[Livre] Les Oranges ne sont pas les seuls fruits de Jeanette Winterson

Points - Signatures, 2013
250 pages

Date de parution originale : 1985
Titre Vo : Oranges are not the only fruit


Jeanette n'a pas le droit : d'aller à l'école, de lire, d'avoir des amis et de penser à autre chose qu'à Dieu. Non, Jeanette n'a pas le droit, sa mère ne veut pas. Heureusement il y a Elsie, vieille femme fantasque et pleine de fantaisie, avec qui elle construit des tunnels pour les souris. Et puis les contes et les fables que Jeanette se raconte à mi-voix. Un jour surgit Mélanie, l'amie, la confidente, si drôle, si belle, si intelligente. L'amour peut-il avoir ce visage-là ?

13/20

Un roman autobiographique ? Non, pas tout à fait, pourtant, on l'aurait presque cru. Les oranges ne sont pas les seuls fruits reprend les souvenirs d'enfance de Jeanette Winterson et nous les propose au sein d'un récit réaménagé, retravaillé. C'est clairement le titre qui a attiré mon attention, j'étais loin d'imaginer tomber sur une histoire basée sur des faits réels, mélangeant religion et homosexualité, qui plus est.
« Il y a des femmes dans le monde. Il y a des hommes dans le monde. Et il y a des bêtes. Que faire si l’on épouse une bête ? »
Les  missionnaires chrétiens sont au cœur de ce roman. Élevée par une mère très pieuse au sein d'une communauté religieuse très active, Jeanette est destinée à devenir une missionnaire. On découvre leurs rôles de prêcheurs, leurs activités. Pour ceux qui l'ignorent (comme c'était mon cas avant ma lecture) le but des missionnaires est de diffuser le message du Christ, de faire des prédications pour toucher le plus de personnes possible ou alors d'organiser des œuvres caritatives ou des activités. L'objectif étant d'amener les gens à se convertir.
« C’était peut-être la neige, ou la nourriture, ou l’impossibilité de ma vie qui m’a donné envie d’aller me coucher avec l’espoir de me réveiller et de retrouver le passé, intact. J’avais l’impression d’avoir décrit un grand cercle et de m’être rencontrée à nouveau à mon point de départ. »
Chez Jeanette, toute passion est un péché (c'est sa mère qui le lui a dit). L'attachement ne se montre pas, qu'il soit amoureux, maritale ou filiale. Les rapports entre Jeannette et sa mère sont très distants, quant à la relation de couple de la mère et du père, elle est inexistante. D'ailleurs, les hommes sont très peu présents dans le roman. C'est dans ce milieu religieux où les femmes sont omniprésentes que Jeannette grandit. Les œuvres sont gérées par les femmes, les hommes sont très peu actifs. 

Le style est agréable lorsque l'auteur évoque sa jeunesse, parfois sur le ton de l'humour, d'autre fois plus sérieux. Il se dégage une certaine curiosité face à cette famille plutôt atypique. Le père effacé, dont on a l'impression qu'il n'est là que pour faire figure de patriarche. La mère forte et très pieuse ayant adopté Jeanette car elle serait l'Élue.
« Je savais que les démons se servent de nos points faibles pour s'emparer de nous. Si j'avais un démon, mon point faible serait Melanie, mais elle était belle et bonne et m'aimait. L'amour peut-il réellement appartenir au démon ? »
En revanche, les histoires et mythes religieux ou même médiévaux insérés dans le récit ne m'ont pas toujours semblé pertinents. Sous ses airs de fable morale, on a parfois du mal à s'y retrouver.



Cependant, j'ai beaucoup apprécié le point de vue du roman. Le regard intérieur de Jeanette qui garde sa foi chrétienne quoiqu'il arrive, analyse tout avec sa curiosité d'enfant, se pose des questions. L'évolution de sa pensée, de son orientation sexuelle également. Elle accepte à la fois Dieu et son attirance pour les femmes, sans jamais voir en quoi cela pourrait être une mauvaise chose. Elle se heurte à sa mère, à son église pour qui le pêché est de haut niveau. Elle sera d'ailleurs blâmée, rejetée, exorcisée même pour l'amour qu'elle porte à Mélanie, jeune fille rencontrée à l'église.
Jeanette ne comprend pas forcément sa mère, ni en quoi son amour est un péché et le regard posé sur ses croyances et la prétendue incompatibilité avec ce qu'elle ressent est intéressant. 

Il est certain que le roman a de l'intérêt, les deux grands sujets qu'il aborde (religion et homosexualité) et confronte en font un récit initiatique pertinent que le ton souvent mordant de l'héroïne rend plaisant à découvrir. Malgré tout, le livre m'a semblé très court et j'aurais aimé que certains aspects soient plus approfondis.  Intéressant donc, mais pas forcément mémorable en ce qui me concerne. 




Il existe une adaptation du roman en mini-série de trois épisodes par un certain Beeban Kidron datant de 1990. Cette lecture me permet de valider la consigne n°16 du Challenge Lecture : Lire un livre choisi au hasard juste pour son titre.




mercredi 8 avril 2015

[Film] Dark Places de Gilles Paquet-Brenner

Américain - 1h53
Sortie en France le 8 avril 2015
Avec : Charlize Theron, Tye Sheridan, Chloé Grace Moretz

1985. Libby Day a huit ans lorsqu’elle assiste au meurtre de sa mère et de ses sœurs dans la ferme familiale. Son témoignage accablant désigne son frère Ben, alors âgé de seize ans, comme le meurtrier. 30 ans plus tard, un groupe d’enquêteurs amateurs appelé le Kill Club convainc Libby de se replonger dans le souvenir de cette nuit cauchemardesque. De nouvelles vérités vont émerger, remettant en cause son témoignage clé dans la condamnation de son frère.

13/20

Comme tout film vu après la lecture du roman dont il est issu, il est difficile de garder un esprit tout à fait neutre et détaché du livre d'origine. C'est pourquoi, si le roman m'avait énormément plu, Dark Places me laisse plus sceptique.

À mon habitude, je vais râler (je sais, c'est mal) sur les libertés scénaristiques prises par rapport au roman d'origine, ici Les Lieux sombres de Gillian Flynn. J'ai tout à fait conscience du fait le travail d'adaptation est difficile, mais je suis toujours embêtée de constater que des éléments clés et importants de l'intrigue de base sont modifiés ou supprimés aussi grossièrement. Sans connaître l'histoire du roman, on n'y prête sans doute peu attention, mais ayant lu le livre, je suis déçue par tous ses détails virés du film ou changés alors qu'ils sont importants et apportent énormément de mystères et de complexités dans le roman...


C'est sûrement pourquoi le film m'a semblé si fade et le thriller mal mis en scène. On suit Libby Day, trente ans après le massacre de sa famille. Une rencontre avec un club spécialisé dans les meurtres mystérieux ou non-élucidés va rouvrir la plaie refermée depuis des années. Ben, le frère de Libby accusé des meurtres, est-il réellement coupable ? 
La première partie est un peu longue, l'intrigue met du temps à se mettre en place. Le rythme s'intensifie lors du dénouement mais les explications, mal présentées, semblent très hasardeuses.
Les transitions entre le passé et le présent sont brouillonnes et les différents flash-back de Libby ne m'ont pas du tout plu. J'ai trouvé ça plutôt mal fait. Je n'ai pas compris pourquoi le choix de cette caméra subjective en noir et blanc qui fait un peu tache avec le reste du film.
Si j'aime en général beaucoup l'ambiance glauque d'une Amérique en crise très sombre, je trouve ici que la mise en scène laisse au contraire une impression assez quelconque du contexte de l'histoire. Des plans comme ceux de la fin du film m'ont manqué tout le long. Le Kansas et ses paysages offraient tout de même matière à jouer sur les décors et l'ambiance. Ce ne fut pas réellement le cas ici.



Si le casting était prometteur, je l'ai trouvé (décidément...) aussi plutôt fade. Charlize Theron ne m'a pas convaincue, j'ai trouvé son jeu d'actrice très terne. On la sent un peu à côté de la plaque, bien loin du personnage de Libby et de ses traumatismes d'enfance. Quelques flash-back et peu d'explications renforcent ce sentiment. Une impression qui touche d'ailleurs pratiquement tous les personnages du film. Ils sont peu développés, on a du mal à saisir toutes leurs complexités. J'ai réellement eu le sentiment de passer à côté de beaucoup d'aspect de leur personnalité. 
Il faut aussi reconnaître que, globalement, les seconds rôles sont plutôt inutiles. Nicholas Hoult, n'est là que pour donner un motif à la reprise de l'enquête, il apparaît hasardeusement au fil de l'histoire, apportant toujours des informations clés sorties d'on ne sait où ou aux moments les plus propices sans que ça paraisse très crédible. 
J'ai par contre aimé retrouvé Chloé Grace Moretz et Tye Sheridan que je trouve très prometteur. Il est vraiment bon dans son rôle d'adolescent paumé en difficulté.



Bon, malgré tout (oui, il y a beaucoup de points négatifs, mais pas que !), le film tel qu'il est adapté tient la route. Ca reste divertissant et la seconde partie du film rattrape un début un peu faible. La musique m'a plu, discrète mais présente, elle accompagne bien l'histoire. 
Le thriller se regarde, mais souffre inévitablement des comparaisons et on reste bien loin du roman d'origine de Gillian Flynn ou de l'excellent Gone Girl (adapté des Apparences) de David Fincher. 




[Livre] Les Lieux sombres de Gillian Flynn

Lgf - Le livre de poche, 2011
512 pages

Date de parution originale : 2009
Titre Vo : Dark Places


Début des années 1980. Libby Day a sept ans lorsque sa mère et ses deux s urs sont assassinées dans la ferme familiale. La petite fille, qui a échappé au massacre, désigne le meurtrier à la police, son frère Ben, âgé de quinze ans. Vingt-cinq ans plus tard, alors que son frère est toujours derrière les barreaux, Libby souffre de dépression chronique. Encouragée par une association, elle accepte de retourner pour la première fois sur les lieux du drame. Et c'est là, dans un Middle West dévasté par la crise économique, qu'une vérité inimaginable commence à émerger... 


17/20

Les Lieux sombres se trouvait dans ma pile de livres à lire depuis presque un an. J'ai mis beaucoup de temps à oser le commencer, préférant même découvrir l'auteur à travers un autre de ses romans, Les Apparences. Il aura fallu la sortie imminente au cinéma de Dark Places, adaptation de Gilles Paquet-Brenner, pour enfin me décider. Et bien entendu, je regrette une fois de plus d'avoir tant attendu.

Libby Day est une survivante. Une vingtaine d'années plus tôt, elle a échappé au massacre de sa famille : ses deux sœurs Debby et Michelle, et sa mère Patty. Seul autre rescapé, Ben, son grand frère, incarcéré après avoir été jugé coupable de la tuerie. Libby, bientôt la trentaine, vivote des dons que les gens lui versent par compassion.  Mais les gens se lassent, et elle se retrouve ainsi, un jour, avec un compte bancaire presque à sec.  Morose, maussade, sans ambition, la jeune femme n'a pas d'autre choix que de se tourner vers un club pour le moins étrange qui la sollicite et souhaite la rencontrer... contre rémunération. Le Kill Club, comme son nom l'indique, s'intéresse en effet aux meurtres, en particulier ceux qui restent entourés de mystères. Et ses membres en sont certains : le frère de Libby est innocent. Le retour vers le passé est imminent. Qui a tué la famille de Libby Day cette nuit-là ?
« Les meurtres m'avaient laissée complètement déphasée par rapport à ce type d'appréciation : je partais du principe que le pire pouvait toujours se produire, puisque le pire s'était déjà produit. »
Le roman porte bien son nom. Il se dégage une ambiance très glauque, pleine de noirceur de l'histoire des Day. Dans le contexte de cette Amérique  rurale des années 80 à aujourd'hui, sur fond de crise économique avec son lot de misère quotidienne, le roman nous plonge dans les mystères qui entourent les Day mais également les habitants de Kinnakee, petite ville (fictive) du Kansas. Des mystères pour le moins sombres, jonglant du satanisme aux abus de toutes sortes en passant, évidemment, par les meurtres.



La construction du roman alterne les points de vue, de Libby à Patty, en passant par Ben mais également les époques, de cette fameuse nuit des meurtres à aujourd'hui.  Le parallèle entre les deux temps m'a beaucoup plu. D'un côté on suit, chapitre après chapitre, les événements passés à travers les regards de Ben et de sa mère, s'enfonçant dans les secrets de ce qu'il s'est passé cette nuit-là et le jour qui a précédé. De l'autre, Libby fait peu à peu la lumière sur son passé.
Gillian Flynn maîtrise son suspense. Elle distille les indices au fur et à mesure, nous induit vers de fausses pistes, nous perd dans les conjectures et ne nous laisse jamais vraiment entrevoir l'issue du roman, dont on apprend d'ailleurs le dénouement dans les toutes dernières pages. Son style direct et précis se lit avec plaisir et attention.
« L’espoir fait vivre… Ces mots avaient été le fléau de mon enfance, pour rappeler constamment que rien ne s’arrangeait vraiment, pas seulement pour moi mais pour tout le monde, et c’est pourquoi quelqu’un avait inventé un tel dicton. Histoire qu’on sache tous qu’on n’aurait jamais ce dont on avait besoin. »
L'auteur me fascine par sa capacité à donner à ses personnages des développement très poussés. Ils ont tous des histoires, des secrets, des personnalités qui rendent l'histoire dans laquelle ils évoluent passionnante.  Ici, elle nous livre les vies de personnages bouffés moralement, que ce soit par les dettes, l'alcool, la drogue ou encore le manque d'ambition. On ressent vraiment ce mal-être qui les ronge, les embourbe et desquels ils n'arrivent pas à se sortir. Libby, elle-même, vingt-six ans plus tard, se voit comme quelqu'un d'antipathique et égoïste. Un brin immature, on se prend néanmoins de sympathie à son égard au fur et à mesure qu'elle révèle une sensibilité bien dissimulée. Malgré tout, elle est persuadée d'être une mauvaise personne. L'idée de fond qui sert de fil conducteur à Libby le montre d'ailleurs très bien. Pour la jeune femme, sa famille était mauvaise, et ce qu'il en reste l'est toujours. C'est dans leur sang. Le sang des Day, cet héritage familiale si dur à porter avec son patriarche alcoolique, qui comme une maladie, gangrena l'avenir de Patty en la mettant enceinte lorsqu'ils étaient jeunes. Dans les Lieux sombres, le passé est lourd à porter.
« Je n'étais pas une enfant aimable, et je suis devenue une adulte profondément mal aimable. Si on voulait dessiner mon âme, on obtiendrait un gribouillis avec des crocs pointus. »
Gillian Flynn prouve une fois de plus qu'elle est capable d'écrire de très bon thrillers, complexes et aux histoires soigneusement ficelées. Les Lieux sombres m'a captivée.




mercredi 1 avril 2015

[Livre] Héloïse, ouille ! de Jean Teulé

Juilliard, 2015 - 336 pages
Date de parution originale : 2015

À la fin de sa vie, Abélard écrivait à Héloïse : « Tu sais à quelles abjections ma luxure d'alors a conduit nos corps au point qu'aucun respect de la décence ou de Dieu ne me retirait de ce bourbier et que quand, même si ce n'était pas très souvent, tu hésitais, tu tentais de me dissuader, je profitais de ta faiblesse et te contraignais à consentir par des coups. Car je t'étais lié par une appétence si ardente que je faisais passer bien avant Dieu les misérables voluptés si obscènes que j'aurais honte aujourd'hui de nommer. » 
Depuis quand ne peut-on pas nommer les choses ? Jean Teulé s'y emploie avec gourmandise.

16/20

La parution d'un nouveau roman de Jean Teulé attise toujours ma curiosité. Outre le plaisir de voir l'auteur un peu partout faire la promo de son livre (l'homme est sympathique et il est vraiment plaisant à écouter lorsqu'il parle de littérature, qu'il s'agisse des ses propres écrits ou de ceux d'un autre), il est toujours amusant de découvrir dans quelle époque ou fait divers l'auteur va encore nous transporter.

Sorti début mars, le roman nous plonge en plein XIIe siècle et nous propose la célèbre histoire d'Héloïse et Abélard. Cette romance historique se retrouve brusquement remis au goût du jour par la plume de l'auteur décidément très inspiré. La grivoiserie est au rendez-vous pour ce dernier roman !
« — Tu as une drôle de démarche, ce soir, Héloïse, s'étonne son oncle. Que t’arrive-t-il ? — C’est d’étudier avec maître Abélard qui me fait ça... — Oui, mais est-ce que ça rentre ? voudrait savoir le tuteur.  — Oui, oui, ça rentre. Plus facilement que cela aurait été avec d’autres en tout cas... »
Si le style sonne parfois graveleux, on a pourtant du mal à trouver ça réellement grossier. Bien sûr, Teulé manie à la perfection le licencieux, mais derrière son langage si fleuri se cache une poésie un brin excessive et délurée absolument jubilatoire. Teulé sait jouer avec les mots et il prend un grand plaisir à le faire.
L'association se fait avec un style mélangent le langage classique de l'époque avec de temps à autres, du parlé d'aujourd'hui. Le résultat est très drôle et fonctionne parfaitement. Le décalage surprend mais ne dérange jamais, c'est fait avec précision.
« Leurs mains droites, allant vers l’une vers l’autre, se rejoignent et tournoient dans l’air, phalanges emmêlées.  C’est l’abandon de tout moi entre ces doigts et l’aube des vols quand un index croise un majeur qui l’enroule puis le laisse lentement s’échapper pour le retrouver sous la paume glissant autour du poignet. Loin du remous gris des mers de chiffres et de phrases inutiles, c’est clair et sinueux comme de l’eau silencieuse. Leurs deux mains se font très longuement l’amour en suspension. Au frais oubli de ce qui les exile, voluptueuses, elles épatent les amants eux-mêmes :      — Oh, là, là !.. »
J'ai beaucoup aimé découvrir la romance d'Héloïse et Abélard. La connivence entre les deux personnages et la passion furieuse qui les dévore est délectable. Décomplexé et sans-tabous, Teulé s'en donne à cœur joie dans les ébats des deux amants. Loin des représentations très saintes et pieuses qu'on fait d'elle, la jeune Héloïse que nous propose Teulé au début du roman cache, sous sa longue robe et ses cheveux blonds, un esprit sacrément déluré et qui n'est pas en reste d'idées pour s'occuper durant les longues leçons de son maître... 
L'histoire a beau être célèbre, je ne la connaissais que de nom. Après ma lecture, je suis allée fouiller un peu et je suis toujours aussi agréablement surprise en découvrant que, s'il y a une réécriture évidente, Teulé arrive malgré tout à rester dans une justesse historique qui, finalement, est très instructive et nous en apprend beaucoup.
« Parce que des moines furieux le démolissaient tel qu’à coups de pelle, votre mari s’est défenestré. Il s’est forcément écrasé comme une merde mais on ne sait pas où. »
Le roman peut facilement se diviser en deux parties, relativement inégale il faut l'avouer. Si la première partie, avec ses joyeusetés et sa fougue amoureuse se découvre avec amusement, la deuxième partie relatant les déboires monastiques de nos deux amants est un peu plus sérieuse et les longues lettres que s'échangent les deux ou les descriptions de leur vie religieuse sont parfois un brin longuettes. Malgré tout, le roman se lit avec plaisir d'un bout à l'autre et la fin parvient à nous faire quitter le roman avec l'envie de se jeter sur un autre roman de l'auteur. 
L'Histoire à la Jean Teulé, personnellement, je suis loin de m'en lasser.



Héloïse, ouille ! est le quinzième roman de Jean Teulé. L'auteur a présenté son livre durant le numéro de La Grande Librairie du 26 février 2015 ; l'émission est à revoir en replay sur internet. Paru le 5 mars 2015, le roman me permet de valider la consigne n°30 du Challenge de Lecture : Lire un roman sorti en 2015.