dimanche 29 mars 2015

[Livre] Zombi de Joyce Carol Oates

Lgf - Le livre de poche, 2014
216 pages

Date de parution originale : 1995
Titre Vo : Zombie

Il pose bien un peu problème à à ses parents, mais ni l'un ni l'autre ne croient à l'accusation d'agression sexuelle sur un mineur dont il est l'objet. Il est un cas pour le psychiatre-expert auprès des tribunaux chargé de le suivre, qui se sent néanmoins encouragé par la nature toujours plus positive de ses rêves et sa franchise à en discuter. Il est le plus exquis des garçons pour sa riche grand-mère incapable de lui refuser quoi que ce soit. Il est le plus vrai et le plus terrifiant des tueurs-psychopathes jamais imaginés dans un roman dont on se demande par instants comment l'auteur a pu trouver les mots pour l'écrire.

15/20

Joyce Carol Oates est sans doute l'une des auteures américaines dont j'ai le plus entendu parler (et qui me faisait le plus envie !) sans jamais avoir pris le temps d'attaquer un de ses livres. Voilà qui est désormais fait, et il est déjà certain que ça n'est que le premier d'une longue série.
Zombi est l'un des romans les plus glaçants qu'il m'ait été donné de lire. Publié pour la première fois en 1995, on comprend sans mal que la romancière ait gagné le Prix Bram Stocker (récompense britannique décernée à des romans d'horreur ou de dark fantasy) du meilleur roman cette année là.
« Le temps est-il au-dehors de moi. C’est ce que j’ai commencé à me demander au collège, quand les choses se sont mises à aller vite. Ou est-ce qu’il est au-dedans. »
Quentin est un serial-killer. Du haut de sa trentaine, obsédé par l'idée de se créer un Zombi qui le vénérerait et obéirait au moindre de ses désirs, il kidnappe des jeunes hommes pour les lobotomiser et parvenir à ses fins... chose qui, à son grand dam, échoue à chaque fois.
Suivi de près par son contrôleur judiciaire et son psychiatre pour s'être fait prendre par le passé, il est en liberté conditionnelle, ce qui ne semble jamais l'avoir empêché de poursuivre son petit bonhomme de chemin, entre chacun de ses kidnapping, dans la banalité la plus simple. Il a un poste de gardien d'immeuble, il fait des études, il est entouré par sa famille avec son patriarche, imminent professeur d'université, qui le soutient ou encore sa grand-mère pour qui son petit-fils est la gentillesse incarnée. Vu comme un bon garçon, discret et calme, on est loin d'imaginer les noirceurs qui se cachent dans l'âme de notre protagoniste. Et pourtant...
« Un vrai ZOMBI serait à moi pour toujours. Il obéirait à tous les ordres & les caprices. En disant "Oui, maître" & "Non, maître." Il s'agenouillerait devant moi les yeux levés vers moi en disant : "Je t'aime, maître. Il n'y a que toi, maître." & c'est ce qui se passerait, & c'est ce qui serait. Parce qu'un vrai ZOMBI ne pourrait pas dire quelque chose qui n'est pas, seulement quelque chose qui est. Ses yeux seraient ouverts & transparents mais il n'y aurait rien à l'intérieur qui voie & rien derrière qui pense. Rien qui juge & il n'y aurait pas non plus de terreur dans les yeux de mon ZOMBI. Pas de souvenirs car sans souvenir il n'y a pas de terreur. »
Écrit du point de vue de Quentin, le lecteur est immédiatement confronté à la vision très sombre et dénuée d'empathie du trentenaire. On est interpellé par la typographie particulière avec ses esperluettes à la place de tous les "et" ou par les initiales qui viennent remplacer les noms de tous les personnages, comme s'ils n'étaient pas réellement des personnes et qu'il n'y avait pas d'intérêt à les nommer. Les longues énumérations et phrases composées de beaucoup de propositions frappent également. On se retrouve avec un style très épuré et une narration vraiment mécanique qui renforcent le côté sociopathe de Quentin. On en revient même à redouter les apparitions des majuscules, signe que Quentin s'emballe et que, sous le coup de l'excitation, ses actes vont prendre une ampleur qui fait froid dans le dos.



Associée à ce style dénué d'émotions positives, l'auteur utilise une écriture extrêmement dure et crue, qui ne s’encombre pas en sous-entendus et non-dits. Cependant, en parallèle de ce ton si brusque et vulgaire, il y a dans l’attitude de Quentin, un aspect naïf et détaché plutôt perturbant. Il y a de quoi être un peu désarçonné par ce mélange de naïveté et de noirceur qui donne un côté très instable à notre tueur en série. 
« Un spécimen de ZOMBI plus sûr serait quelqu'un d'extérieur à la ville. Un stoppeur, un vagabond ou un drogué (s'il est en bonne condition physique & pas maigre & esquinté ou malade du SIDA). Ou un type des HLM noires du centre-ville. Quelqu'un dont tout le monde se contrefout. Quelqu'un qui n'aurait jamais dû naître. »
Découpé en deux partie, le roman nous présente ainsi dans un premier temps ce tueur atypique, terrifiant et dont la folie est palpable au fil des pages. Puis vient le moment où Quentin se trouve une nouvelle victime. Du récit de ses précédents Zombis ratés aux banalités de sa vie de tous les jours, on passe subitement à la préparation de ses nouvelles manigances. Le kidnapping mis au point, la lobotomie préparée dans sa cave. Le plan est minutieusement assemblé et les évocations de pic à glace, de couteau à dépecer ou les différents actes sexuels envisagés sont placées dans le texte avec tant de détachement que cette deuxième partie est réellement dérangeante. Car, outre son côté sociopathe, Quentin est surtout un prédateur sexuel et c'est pour cette raison qu'il tient tant à posséder son propre Zombi...
« Merde au PASSÉ, ce n’est PAS MAINTENANT. Rien de ce qui n’est PAS MAINTENANT n’est réel. »
L'apparente simplicité du tueur à passer inaperçu, à élaborer ses sombres dessins dans la transparence la plus totale et l'immersion au plus profond de ses pensées font de ce roman un roman noir dérangeant et (je dois l'avouer) un brin hypnotique. Le mal fascine, ça n'a rien de nouveau, et Joyce Carol Oates réussit ici clairement à captiver ses lecteurs.




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