samedi 7 mars 2015

[Livre] Esprit d'hiver de Laura Kasischke

Lgf - Le livre de poche, 2014
312 pages

Lorsqu’elle se réveille ce matin-là, Holly, angoissée, se précipite dans la chambre de sa fille. Tatiana dort encore, paisible. Pourtant rien n’est plus comme avant en ce jour de Noël. Dehors, le blizzard s’est levé ; les invités ne viendront pas. 
Au fil des heures, ponctuées par des appels téléphoniques anonymes, Tatiana devient irascible, étrange, inquiétante. Holly se souvient : l’adoption de la fillette si jolie, treize ans auparavant, en Sibérie… 
Holly s’interroge : « Quelque chose les aurait suivis depuis la Russie jusque chez eux ? »


18/20


Je connaissais déjà Laura Kasischke à travers un autre de ses romans beaucoup plus court, Rêves de garçons. L'histoire m'avait plu mais ne m'avait pas laissé un souvenir mémorable : je me souviens surtout de la fin du roman qui m'avait marquée.
Avec Esprit d'hiver, j'avais envie de redécouvrir cette auteure dont j'entendais tout de même beaucoup de bien un peu partout. Je suis ravie de m'être laissée tentée, cette lecture fut incroyable.

C'est le jour de Noël. Dehors, la neige tombe. Le mari d'Holly est parti à l'aéroport chercher ses parents, le reste des invités doit arriver dans la matinée et leur fille, Tatianna, dort tranquillement à l'étage. 
Dès le début du roman, la menace rode en arrière plan. On sent l'ombre qui plane, on la voit du coin de l'oeil, sans jamais réussir à la fixer. Et puis l'ambiance s'épaissit, devient lourde, chargé d'électricité. Le blizzard se lève, personne ne viendra les rejoindre et Holly se retrouve coincée chez elle avec sa fille. Tatianna, du haut de ses quinze ans, dérange autant qu'elle intrigue. Changeante, effacée, blessante, passive. Holly redécouvre sa fille sous l’œil du lecteur. La petite fille adoptée treize ans plus tôt en Russie semble bien loin. 
« Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux !Mais quoi ?Et Holly pensa alors : Je dois l'écrire avant que cela ne m'échappe. Elle avait déjà ressenti ça plus jeune - l'envie presque paniquée d'écrire à propos d'une chose qu'elle avait entraperçue, de la fixer sur la page avant qu'elle ne file à nouveau. Certaines fois, il avait failli lui soulever le coeur, ce désir d'arracher d'un coup sec cette chose d'elle et de la transposer en mots avant qu'elle ne se dissimule derrière un organe au plus profond de son corps - un organe un peu bordeaux qui ressemblerait à un foie ou à des ouïes et qu'elle devrait extirper par l'arrière, comme si elle le sortait du bout des doigts d'une carcasse de dinde, si jamais elle voulait l'atteindre une nouvelle fois. Voilà ce que Holly avait ressenti chaque fois qu'elle écrivait un poème, et pourquoi elle avait cessé d'en écrire.Mon Dieu, cette pensée était pourtant comme un poème - un secret, une vérité, juste hors de portée. »
Les souvenirs d'Holly remplissent les pages. L'adoption, l'enfance de Tatty, son rôle de mère. J'ai beaucoup aimé ces rétrospectives. Toujours placées avec beaucoup de finesse, elles rendent l'histoire passionnante.
C'est d'ailleurs quelque chose qui m'a réellement épatée : le roman est un huis-clos. L'action entière se situe dans la maison familiale, ce jour de Noël. Et pourtant, en plus de trois cent pages, Laura Kasischke arrive à installer une intrigue minutieusement tissée, jonglant entre les apparitions de Tatianna et les souvenirs d'Holly et flirtant de temps à autre avec un fantastique très épuré. C'est captivant, on est piégé dans cette ambiance étrange, un peu malsaine dans laquelle flottent les secrets et l'incompréhension et le dénouement m'a complètement retournée.
À ça s'ajoute un joli coup de plume et une écriture chargée de mélancolie. J'ai beaucoup aimé les tournures des phrases de l'auteure, la façon dont elle revient sur les sentiments de la mère, inconditionnels, envers sa fille, sur ses doutes, ses craintes, ses regrets, elle qui aurait voulu devenir écrivain. 
« Parfois l’âme pouvait être derrière le corps, peut-être, mais parfois elle pouvait être à côté ou en dessous, ou au-dessus, mais oui, actuellement, elle se trouvait à l’intérieur. Un livre, par exemple, avait son âme dans le creux entre les deux pages du milieu. C’était typique des choses pliables. Comme les papillons qui avaient l’âme où leurs deux ailes se rejoignaient. »
Esprit d'hiver est un roman glaçant, touchant et parfaitement maîtrisé qui fait de Laura Kasischke un des auteurs qui m'aura le plus impressionnée.




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